Viennent de paraitre deux critiques
dans le Cahier Critique de Poésie, fin mars 2017
J'en suis ravi.
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Critique du numéro 5 et 6 de la revue PLI
par Yves Boudier
" D’un format classique et d’une esthétique volontairement sobre, cette revue est le fruit du travail de l’association Pli
(soutenue par la région Pays-de-la-Loire). Elle accueille une vingtaine
de contributeurs, aux écritures diversifiées, ainsi que des
photographies et travaux plastiques. Description fort classique certes,
mais les surprises nous attendent dès l’ouverture du numéro et à la fois
l’audace, la liberté du ton d’une réflexion poétique-politique sans
souci d’unanimité ou de la moindre concession nous saisissent dans une
forte et pertinente continuité avec la livraison précédente (février-mai
2016) qui, elle, ouvrait ce chantier attentif à ce « Quelque chose en
train de naître (…) Le monde ou rien (…) dans une société “au bout du
rouleau” » dans laquelle « Tout doit être jeté dans le bouleversement
passionné de cet ordre finissant. Il [serait] grand temps de repartir à
l’assaut du ciel ». Ainsi, sur ce terrain se joue la rencontre excitante
d’une parole politique héritière sans fascination d’un situationnisme
bien pensé et revisité avec la puissance polymorphe du geste et de
l’acte artistique et poétique. Cette articulation qui fut, rappelons-le,
la pierre de touche dans le passé de revues comme Change ou Action poétique,
revient en force et interroge de nouveau les leurres contemporains qui
tentent de nous convaincre que nous serions dans un au-delà de cette
problématique essentielle qui lie Histoire et écritures. Et, à rebours
de revues contemporaines qui ont choisi formellement de mettre en scène
ces lignes de ruptures, ces clivages et ces bouleversements sociaux avec
une maquette exubérante et des contenus de lecture se voulant un
détournement des codes du capitalisme culturel sans toujours parvenir à
s’en détacher, Pli fait le choix d’une forme sans excès et au
fond respectueuse des questionnements du lecteur. Les effets
éventuellement surprenants, voire violents, produits par les textes et
les images elles-mêmes et plus encore par leurs rapprochements parfois
inattendus, tant dans les contenus que dans les formes, sont d’autant
plus forts que se déroulant dans un espace apparemment apaisé. Ainsi,
depuis l’important cahier spécial de vingt-cinq pages consacré aux
poèmes de Michele Zaffarano (Todenstrieb), depuis les photographies du Groupe Rembrunir, le travail iconique de Patrick Mosconi (Misère des Baby-boomers)
du numéro précédent, nous poursuivons le parcours critique de ce
« projectile littéral » avec, par exemple, Jean-Marie Gleize, Liliane
Giraudon, Mohamed Ben Mustapha, Luc Bénazet, Julien Blaine, Virginie
Lalucq, Esther Salmona, Claude Favre, Jérôme Bertin ou Vannina Maestri,
tous dans le sillage de la dernière ligne de la page quatre : « Le Parti
Imaginaire sera dès lors la forme d’apparition du prolétariat », que l’on se permettra de transformer en « poétariat ». Le détournement graphique de plusieurs célèbres Gueux
(Jacques Callot, 1622) effectué par Erwan Keruzoré confirme ce qui
fonde les parti-pris de cette revue fort intéressante, soucieuse
assurément de décliner et d’interroger les plis passés et contemporains
de notre histoire politico-poétique. "
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Critique d' Extrait des nasses
par Luidgi Magno
" Extrait des nasses
est une machine textuelle fonctionnant par fragments. Le centre est
partout, le départ à la fois comme délité et réitéré. Tout pourrait
commencer par un positionnement dans le champ (« Je ici », p. 19) ou un
ancrage au sol (« Je suis gisant », p. 30), suivi par un constat
politique fort (« La démocratie n’a plus lieu à nos yeux », p. 26) qui
affecte (« Nous sommes affectés par ce que nous percevons », p. 33). Et
comme l’instance politique se joue dans le langage et touche la
démocratie, « il […] faut aujourd’hui tant bien que mal poursuivre dans
l’obscurité plate du langage » (p. 27). La poursuite sera poétique,
quand bien même « La poésie a tout raté » (car elle se présente comme
« Un grand ensemble qui ne nous concerne pas », p. 36), et que « Le
chant est terminé » (p. 60). Extrait des nasses essaie de
réinstaller le langage dans la poésie, autrement. Par sabotage de ses
logiques (p. 19) ou encore par révision des méthodes (p. 33). À partir
de ces coordonnées s’opère le choix de la « fiction épique » (p. 23), de
« l’histoire silencieuse de l’humanité » (p. 17) ou de « l’histoire
absente de l’humanité courbée » (p. 19). Utilisant le présent (p. 43),
cette fiction se bâtit par « Un ensemble de documents » (p. 23) et une
méthode qui consiste à « Rassembler les indices reliés » (p. 20). Il
s’agit alors de penser la poésie comme « un fonctionnement agraphique »
(p. 28), un trouble dans lequel chercher une forme et par lequel
poursuivre la poésie tout en refondant ses présupposés esthétiques. Et
produire ainsi un « commentaire de notre quotidien » (p. 19), non sans
action en perspective commune (« Le commun est ma fiction », p. 53).
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